L’intelligence artificielle (IA) est définie par l’un de ses créateurs (1) comme « la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique ». L’IA s’invite dans tous les secteurs, y compris dans la création artistique. La rentrée 2018 a été marquée par la sortie de deux albums pop : Hello World, co-créé par deux artistes (2) avec le logiciel Flow Machines (3), et I am AI, dont les parties instrumentales ont été entièrement composées par le logiciel Amper. L’interprète de cette chanson a pris la décision de reverser une partie des royalties perçues à Amper, reconnaissant implicitement qu’Amper était co-auteur de son album. Cette actualité soulève la question de la protection par le droit d’auteur d’une création en tout ou partie créée par un robot. Le droit d’auteur « classique » ne semble pourtant pas adapté à une « œuvre » créée par un algorithme (I) et la mise en place d’un régime juridique sui generis serait opportun (II).
I) L’incompatibilité des règles classiques du droit d’auteur ?
Peut-on considérer qu’une œuvre musicale créée par un algorithme est une œuvre originale ?
Une œuvre de l’esprit est considérée comme originale lorsqu’elle est marquée de l’empreinte de la personnalité de son auteur.
La création d’une œuvre musicale par un algorithme repose sur une base de données composée de musiques créées par l’homme. Le robot en déduit des caractéristiques d’une composition cohérente et plaisante à l’oreille humaine. Le morceau pop Daddy’s Car, s’inspirant des Beatles et créé par le logiciel Flow Machines, en est une parfaite illustration. Le logiciel a analysé 45 morceaux des Beatles sélectionnés par un être humain, et 14 000 partitions, pour proposer sa propre composition. S’il existe inconditionnellement un processus créatif, dans lequel intervient principalement le code, et accessoirement l’Homme, nous ne pouvons parler d’« empreinte de la personnalité » de l’IA, le robot n’ayant pas de personnalité propre.
Peut-on considérer qu’un robot est un auteur ?
Au regard du droit des biens, un robot est une chose insusceptible de créer, à l’instar des animaux. Par ailleurs, le droit français a une approche personnaliste du droit d’auteur : l’auteur est le créateur de l’œuvre. Si l’œuvre est protégée parce qu’elle exprime une personnalité, l’auteur est nécessairement une personne physique dotée d’une conscience. Ainsi, un robot ne peut être auteur au sens du droit de la propriété intellectuelle en vigueur.
II) Un régime juridique spécifique pour le robot-auteur serait nécessaire ?
Protéger l’innovation
Si une œuvre musicale créée par un robot ne peut être valablement considérée comme une œuvre de l’esprit au sens du droit existant, deux options sont envisageables ; l’œuvre entre dans le domaine public et ne bénéficie d’aucune protection particulière (4); ou un régime juridique sui generis est créé. La première option ne nous semble pas adaptée au regard des enjeux commerciaux. Cela signifierait, par exemple, qu’un morceau créé par une IA, à l’initiative d’une entreprise ayant investi des sommes significatives dans un système capable de composer de la musique, pourrait être exploité gratuitement par quiconque. A l’instar du Parlement européen (5), nous considérons que les œuvres – musicales ou autres – issues de la robotique doivent faire l’objet d’une protection.
Quelles nouvelles règles de droit ?
Si l’œuvre collective a été créée pour récompenser l’investisseur d’une œuvre « dépersonnalisée », l’œuvre issue de l’IA récompenserait l’investisseur d’un système permettant de créer de la musique, de la littérature, ou de la peinture. En matière de création automatisée, il s’agirait du producteur ayant investi dans un algorithme et orchestré la création. Toutefois, l’interprète ou toute autre personne physique dont la contribution personnelle se distinguerait du tout, ou l’auteur de l’œuvre originale dont l’œuvre automatisée en serait inspirée (œuvre dérivée), conservera l’exercice de ses droits d’auteur sur sa contribution.
Ainsi, nous pourrions envisager un système dans lequel les producteurs des robots créant la musique, ayant investi matériellement et humainement seraient protégés par un droit sui generis à l’instar des producteurs de bases de données (6), sans préjudice des droits des auteurs des œuvres préexistantes dont la machine s’est inspirée.
Sur la durée de protection, une durée de quinze ans (7) nous semble adéquate et suffisante pour, d’une part, récompenser l’investissement et, d’autre part, encourager la création.
Conclusion
L’institution d’un nouveau régime de protection du producteur d’œuvres automatisées serait souhaitable pour encourager ces nouvelles formes d’innovations et de création artistiques. Ce nouveau régime se rapprocherait de celui applicable au Royaume-Uni, qui prend en considération les œuvres générées automatiquement, sans intervention humaine et prévoit que leur auteur est la personne ayant créé les arrangements nécessaires à la création de l’œuvre concernée (8).